Images à comprendre
-- Éboulements et avalanches --


Prenez une feuille quadrillée et mettez sur chaque carreau un certain nombre de grains de riz (ou de n'importe quoi qui soit en grains). On dira q'un carreau peut s'ébouler s'il contient au moins quatre grains. Lorsqu'on éboule un carreau, on enlève quatre grains de ce carreau et on en repose un sur chacun des quatre carreaux voisins. Si le carreau est au bord de la feuille, il n'a pas quatre voisins. On fait comme si c'etait le cas, et on jette les grains qui tombent à l'extérieur. Un exemple est donné figure 1.

Figure 1. Une suite d'éboulements possibles. À chaque étape, le carreau qu'on éboule est grisé. Remarquez qu'on peut parfois ébouler plusieurs carreaux.

Bien sûr il n'y a pas toujours de carreau qu'on peut ébouler. Ceci arrive précisément quand tous les carreaux contiennent moins de quatre grains. On dit alors qu'on est dans un état stable. Si on associe à 0, 1, 2, et 3 une couleur, on peut alors dessiner un état stable simplement en coloriant les cases par les couleurs correspondantes, comme montré figure 2. Cette méthode n'a pas seulement l'intérêt de remplacer les nombres par des couleurs. Elle est surtout utile pour dessiner des états stables obtenus sur des quadrillages très fins. Si on quadrille un bout de papier carré en 500 lignes et 500 colonnes, il sera difficile d'avoir une vue d'ensemble avec les nombres, alors que les couleurs rendront les choses beaucoup plus claires, comme nous le verrons ci-après.

Figure 2. Un état stable et sa représentation par des couleurs.

Remarquons qu'un éboulement peut en provoquer un autre, qui lui-même peut en provoquer un autre, et ainsi de suite. Est-il bien clair qu'en partant d'une certaine répartition des grains, on finit toujours par s'arrêter ? C'est une conséquence du fait que les grains sortent de la feuille par les côtés. Une série d'éboulements assez longue fera toujours sortir des grains, et donc le nombre total de grains sur la feuille diminuera, ce qui implique qu'on finira toujours par avoir moins de quatre grains par carreau, donc un état stable. Mais obtiendra-t-on toujours le même état stable quel que soit le carreau qu'on éboule (parmi ceux qu'on peut ébouler à une étape donné) ? C'est plus difficile à montrer, mais c'est effectivement le cas : quel que soit le choix de carreau éboulé à chaque étape, si on éboule jusqu'à obtenir un état stable, on arrive toujours au même état stable. On peut se faire une intuition de la véracité de ce point en remarquant que si, à un moment donné, on peut ébouler un certain nombre de carreaux, alors on peut les ébouler dans n'importe quel ordre. En effet, le fait d'ébouler un carreau ne fait pas décroître le nombre de grains sur les autres carreaux. Donc si on éboule un des carreaux possibles à un moment donné, ces carreaux peuvent toujours être éboulés après : ils contenaient au moins quatre grains et après l'éboulement ils en contiennent autant ou plus.

On peut donc partir d'une configuration quelconque, celle qu'on veut, puis ébouler dans n'importe quel ordre les carreaux qui contiennent au moins quatre grains, jusqu'à ce que plus aucun éboulement ne soit possible. On finit toujours par obtenir un état stable, qui ne dépend pas de l'ordre dans lequel on a effectué les éboulements.

L'image présentée ci-dessus est obtenue de cette façon. C'est la représentation coloriée de l'état stable obtenu en partant d'un carré quadrillé en 500 lignes et 500 colonnes, dans lequel chaque carreau contient initialement 4 grains. Comme le quadrillage est fin (il y a 250000 carreaux), chaque carreau correspond simplement à un point de couleur. L'image obtenue est très particulière, et nous aurions eu bien du mal à deviner que les ébouleemnts donneraient un tel résultat. De plus, si on fait un quadrillage deux fois plus fin (1000 lignes et 1000 colonnes), la même figure apparaît. Tout ça paraît peut-être évident, mais vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'aujourd'hui aucun scientifique ne sait expliquer l'apparition de cette image, ni même la décrire rigoureusement. Pourtant, de nombreux chercheurs ont travaillé sur ces questions, mais pour l'instant sans grand succès.

Mais pourquoi étudie-t-on ces objets ? Quelle étrange idée que ces grains sur une grille, et ces éboulements...

Remarquons tout d'abord qu'un éboulement peut en provoquer un autre, puis un autre, et ainsi de suite. Maintenant, ajoutons un grain sur un carreau. Si ce carreau contenait trois grains, on peut maintenant l'ébouler, ce qui peut conduire à une série d'éboulements. Nous allons dire que cette série d'éboulements est une avalanche, et que la taille de l'avalanche est le nombre déboulements dans la série. Voir figure 3.

Figure 3. Une avalanche de taille 4. On a effectué à chaque étape tous les éboulements possibles.

Nous pouvons donc voir la grille avec les grains comme un modèle pour les avalanches. Et il s'agit effectivement d'un bon modèle : il a été montré par les physiciens que les avalanches dans le modèle, ainsi que leur fréquence, correspondent très bien à celles observées dans la réalité sur les montagnes, les dunes de sable, etc. L'apparition d'images telles que celle présentée ici a été une grande surprise, que les scientifiques essaient depuis lors d'expliquer. Cette image est donc, plus que jamais, à comprendre...


Si vous savez un peu programmer, et si vous voulez jouer avec le modèle présenté ici (qui s'appelle Abelian Sandpile Model), vous pouvez télécharger le programme (en C) qui nous a permis d'obtenir l'image.


Matthieu Latapy et Clémence Magnien, juillet 2003.


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